Torpeur printanière

Publié le par Lucie Trellu

Elle s'astreint à effectuer toutes les tâches quotidiennes qui lui reviennent, mais la douceur de l'air ne cesse de distraire son esprit. Elle empile des bûches qui ne cessent de s'écrouler, verse l'eau à côté, ou la laisse déborder du seau... Elle finit par se faire expulser gentiment du campement et se met à marcher sans but, le nez au vent.
L'air n'est ni chaud ni froid, de cette tiédeur impalpable qui semble émerger de nous. Une brise légère vient caresser ses joues, ses mains, l'enrobe d'une pression subtile qui la porte du sentier vers l'orée des bois. Déroutée, elle se laisse guider, s'enfonçant vers une zone plus sèche où des chaos rocheux parsèment la pente d'une colline qui s'éloigne. Sous le couvert  des arbres, la lumière vive de cette matinée de printemps s'adoucit en jouant avec les ombres sur le sol, les troncs, sur sa main tendue ainsi tatouée.
Elle chemine un moment, dans une incertitude bienheureuse enrobée de nonchalance. Elle sent bien au fond d'elle même que la griserie de cette douceur ambiante la mène pour le bout du nez sans qu'elle ait aucun contrôle, mais elle n'a pas le cœur de briser l'harmonie délicate de cet instant léger qui se prolonge.
Qu'elle s'y fonde ! Soudain tout cela n'a plus d'importance, toute gravité s'échappe de son esprit. Elle se sent légère à son tour, comme survolant l'herbe que son pied ne foule plus, mais caresse. Le temps s'échappe, puis revient, sur la pointe des pieds, et soudain elle tombe en arrêt devant la tendre couleur des feuilles d'un arbuste, sur le fond gris du rocher auquel il s'adosse.


Du vert au jaune, elle hésite, mais la vibration, elle, lui est familière. Souples et fragiles, les feuilles neuves, à peine dépliées de leurs bourgeons, dansent légèrement dans le souffle qui l'a menée jusqu'ici. Leur grâce insouciante charme son cœur, et la finesse des nervures sous ses doigts lui communique un frisson qui se propage jusque sous la plante de ses pieds, où elle sent, comme en écho, les minces rides de sa peau fragile.
Et la couleur chante pour elle un hymne de vie qui réveille son esprit à l'acuité de la vigilance. Chaque feuille émerge de la masse floue, les détails de l'écorce de chaque branche la rendent à elle-même. Vibrante du chant de l'aube du monde, elle est à nouveau pleinement là, délivrée de la torpeur printannière par la résonance des feuilles qui maintenant semblent rire dans le courant d'air plus frais venu des hauteurs.
  

Publié dans La Passeuse

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L
Je constate que ton style s'élargit et s'étale en phrases plus longues. Autre façon de voir.
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L
<br /> C'est vrai, je ne sais pas si c'est mieux ou pas... C'est venu comme ça. Tu aimes ?<br /> <br /> <br />
S
tu dégages dans ton texte une introspection sensitive extème, c'est comme un partage permanent d'intuition dévoilé.Merci
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L
<br /> Merci de ton commentaire... Je suis heureuse que ce blog nous permmette de rester en contact et de partager ce quelque chose de plus subtil qui a du mal à s'exprimer dans le quotidien... Te<br /> savoir ma lectrice fidèle est un grand bonheur ! <br /> <br /> <br />