Silence

Publié le par Lucie Trellu

Le paysage est grandiose, votre cœur empli de félicité et vos poumons d’air pur. Le sommet vous accueille avec bienveillance, et cette vaste pierre plate, chauffée par le soleil, vous promet une sieste profonde. Mais votre lourd sac à dos précautionneusement déposé à vos pieds, vous hésitez encore à vous asseoir, et vous regrettez presque ce sommet tant espéré par vos jambes tremblantes.

Votre esprit aux pieds légers continue l’ascension vers des cimes d’éther, et votre regard se pose tour à tour sur la froideur d’un pic ou la courbe molle d’une passe. Peu à peu, vous réalisez sa présence autour de vous. Planant tel un aigle dans le ciel pur, ses larges ailes étendues au-dessus de vous, il vous écrase de sa majesté, un fin sourire sur ses lèvres closes. Vos yeux se ferment alors et, doucement, le silence vous enivre.


Une femme au visage pâle contemple, immobile, le nuage de cendre qui l’entoure. Ses longs cheveux noirs se fondent dans la nuit de sa robe fluide et du voile si sombre qui recouvre le bas de son visage. Vos yeux cherchent, en vain, l’empreinte de sa bouche sur le foulard profond. L’intensité de son regard ne parvient pas à détourner votre attention de cette absence. Une angoisse vous étreint, qui vous laisse muet face à ce vide inexplicable. Mais n’est-ce pas plutôt une ombre funeste ? L’ombre d’une parole qui hésite, au seuil des lèvres ?

L’instant suspendu devient mer d’éternité, immuable et grise comme la cendre, où le verbe se noie. Sur le corps gorgé d’expectative, posé au fond de la gondole, le fossoyeur jette une rose en noir et blanc. Il pose délicatement son index sur la bouche figée, et se tourne vers la lune. Ses grands yeux vous fixent paisiblement mais une intention ferme maintient votre regard et confine votre esprit dans un mutisme glacé. Ses oreilles boivent les sons avec avidité et retenue à la fois ; bientôt la mer s’assèche et vous laisse sans raison d’être. Alors lentement, irrésistiblement, vous êtes attiré vers le brouillard rêveur qui l’environne désormais. La gondole s’est éloignée, portée par une brise aphone. Vous approchez une main tremblante, mais la robe est vide de sens et le voile noir se lève sur un tourbillon rieur et enfantion. Insaisissable. Vos lèvres s’entrouvrent, mais l’air grave de l’enfant vous arrête. Il vous rejoint sans bruit pour boire vos paroles directement dans votre cœur. Il est assis sur vos genoux, son oreille tête votre sein, presque distraitement. Bientôt, il s’endort. Alors vos lèvres se scellent à jamais, tant votre peur de l’éveiller est grande...

Publié dans Ecrits-Visions

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